Extrait du livre XYZ


Les premiers chapitres du livre XYZ, roman fantastique écrit par Daniel Ichbiah et Yves Uzureau
XYZ de Daniel Ichbiah et Yves Uzureau

LE VENT

     Le vent soufflait dans mon oreille. Trop tard...

LA RENCONTRE

     Je me suis réveillé quatre milliards d'années plus tard, ou trois millions d'années plus tôt. Je ne sais plus...

     - Vous pourriez faire attention, vous êtes assis sur MON pied" dit une voix.

     - Sur VOTRE pied?..." répondit la mienne.

     - JE peux le transformer en autobus si vous le désirez".

     Instantanément, je me retrouvais sur la ligne 52, près du siège du chauffeur. Nom d'un chien de fusil! C'était maintenant le volant qui m'adressait la parole! Je sortis une plaquette de chewing gum de ma poche.

     - N'essayez pas de M'acheter et tirez vous de MON pied ou JE ME transforme en pieuvre volante.

     - Ce serait de très mauvais goût dans un autobus.

     - Qui parle d'autobus? répondit la pieuvre. Accrochez-vous bien à MES tentacules, vous avez failli tomber.

     Je regardais effaré le sol qui s'éloignait. Nous volions déjà à trois mille mètres d'altitude. Je m'agrippais énergiquement aux tentacules de mon hôte insolite.

     - C'est la façon qu'on a ici d'accueillir les touristes ou c'est VOTRE style personnel?

     - La question ne se pose pas. JE suis tout seul sur cette planète et c'est déjà bien assez. Vous M'importunez.

     - Parlons sérieusement. Cigarette?

     - Non merci, JE ne fume pas.

     - Un roudoudou?

     - Glissez-le MOI dans l'oreille mais n'essayez pas de M'acheter. D'ailleurs, il n'y a rien à vendre ici.

     - N'ayez crainte, je ne suis pas un commerçant. Mais ne pourrait-on pas se poser? Nous serions mieux à l'aise pour discuter. Cette petite crique là-bas nous tend les bras.

     Immédiatement, mon compagnon se métamorphosa en toboggan. Je me sentis glisser jusqu'à un rocher transparent et glauque qui m'accueillit comme un fauteuil moelleux.

     - Puis-je VOUS demander de prendre une forme proche de la mienne: VOUS êtes un peu fatigant pour mes nerfs.

     Le toboggan se rétracta sans opposer de résistance et prit une forme humaine. J'avais déjà vu cette tête là quelque part... Ne serait-ce pas dans un miroir? Diable! C'était ma réplique exacte qui me dévisageait. Ce gars là commençait vraiment à m'intriguer. Il n'y pas de doute j'étais tombé sur la bonne planète.

     - Est ce qu'il pleut toujours à Chamonard? me dit-IL en me regardant avec mes beaux yeux bleus.

     - Vous connaissez Chamonard?

     - JE connais beaucoup de choses...

     Un silence gêné suivit. Je sentis que j'avais gaffé. Il fallait y aller prudemment et appliquer des techniques éprouvées.

     - Whisky?

     - Non merci, JE ne bois pas.

     - Une madeleine?

     - Volontiers, mais n'essayez pas de M'acheter!

     Une vague déferla jusqu'à nos pieds. On ne m'avait pas menti, c'était un dur à cuire. Je me faisais progressivement à l'idée qu'il me faudrait rester ici plusieurs mois. Avant tout, il me fallait éviter une chose: qu'IL SE transforme en grain de sable, car alors je ne pourrais plus LE retrouver.

LE CAFE AU LAIT

     Un rayon de soleil titille mon oreille droite. C'est sûr, Samantha va encore râler et me parler de sa partie de bridge qu'elle perd éternellement depuis six ans. Pourquoi s'obstine-t-elle à porter des lunettes miroir dans lesquelles se reflète son jeu? J'espère qu'elle aura repassé mon maillot de bain, je dois aller à la piscine à deux heures. C'est une sacrée garce mais je l'ai dans la peau. Elle n'a pas son pareil pour faire le café.

     - A propos de café, combien de sucres prenez-vous?

     Je me réveille en sursaut. Je suis bien loin de ma planète, de Samantha et de mon maillot de bain. Mission, mission... Un regard à 360° me permet de constater que j'étais seul dans la pièce.

     - Peut-être le préférez-vous sans sucre?

     J'ai toujours eu du mal à me réveiller. Cette fois-ci, je me pince férocement la cuisse. Pas de doute, c'est LUI qui m'a parlé mais où est-IL?

     - MOI, j'ai toujours détesté le café au lait. C'est très indigeste. D'ailleurs à l'université pendant les heures creuses, JE dirigeais le Comité Anti Café au Lait. J'avais recueilli au moins cent vingt signatures. Vous aimez le café au lait, vous?

     Chaque mission comporte ses vicissitudes. Celle-là serait de taille: j'adore le café au lait depuis ma plus tendre enfance. J'en bois dix tasses par jour. Mais pas question de le LUI avouer, il faut éviter tout désagrément préjudiciable au succès final de la mission.

     - Je hais le café au lait!

     - Il est très beau votre maillot de bain. Vous auriez du l'amener. Il y a beaucoup de piscines ici. D'ailleurs, il y a tout ce qu'on veut ici.

     Des petites bulles dans mon café attirent mon regard. Je me penche sur le liquide noir: la voix vient de la cuillère! IL me parle du fond de la tasse.

     - Vous voulez MA photo peut-être?

     Mais pourquoi M'a-t-IL parlé du café, de mon maillot de bain et de la piscine?

     - Ca vous épate hein? dit la cuillère.

     - Il y a longtemps que VOUS êtes là?

     - Une heure ou deux. J'ai visionné votre rêve. Le scénario n'est pas mal mais les acteurs sont déplorables. A propos, qui joue le rôle de Samantha?

     - Ecoutez, heu... Il faut que l'on parle sérieusement VOUS et moi.

     Un hippopotame sort furieusement de ma tasse et s'enfuit au loin dans les marécages. Quel imbécile j'ai été! Je LE tenais là et selon ma mauvaise habitude j'ai tout foiré. Je le saurais désormais. Avec ce gars-là, il faut y mettre du protocole.

     J'allume une cigarette et me dirige vers la cuisine à la recherche d'une bouteille de lait pour égayer mon café. Au moment même où j'ouvre le réfrigérateur, une image m'apparait comme un éclair. Mais où donc ai-je mis cette fameuse pièce "si importante" que le Boss voulait que je LUI montre dès mon arrivée?

UNE VISITE SANS GUIDE

     Je ne sais pas si je LE reverrais jamais. Des années de recherche fichues en l'air à cause de mon sale caractère! Comment LE retrouver sur une planète vingt fois plus grande que la mienne? Et même si je LE retrouve comment LE repérer? Cette mission, je commence à m'en rendre compte, dépasse largement mes capacités. Je suis néanmoins résolu à aller jusqu'au bout.

     Je sors de ma cabane. Le ciel est mauve, tout comme hier. Une végétation quasi équatoriale se dresse tout autour. De larges feuilles bariolées s'enchevêtrent en poussant de petits cris de souris. Plus loin, d'immenses corolles s'agitent en un luxuriant ballet de couleurs mouvantes. Un petit chemin se dessine à côté d'une fontaine. Je décide de l'emprunter.

     Où ai-je mis mes cigarettes? Le mouvement de ma main à la poche intérieure de mon blouson est ponctué d'un énorme coup de cymbale. Je me retourne. Un troupeau de râpes à gruyère traverse très rapidement le sentier et court se cacher sous les buissons. Décidément, je ne suis pas au bout de mes surprises. Je me prépare à allumer une cigarette quand brusquement la nuit tombe.

     J'avance à l'aveuglette, à tâtons dans l'obscurité à la recherche d'un point de repère. Soudain le soleil réapparait.

     Me voici à présent dans la rue principale d'une petite bourgade de province. Diable! Je n'ai jamais vu un tel luxe dans des vitrines. Astronefs, aspirateurs de poche, porte-trombones, mandarines, rideaux de douche... Il n'y a personne dans les rues. A qui tout cela peut-il bien servir?

     A LUI, bien sûr. Mais pourquoi? Je repense à la phrase énigmatique du Boss: "Le caméléon est solitaire dans sa solitude et néanmoins seul avec lui-même". Je sens instinctivement qu'une grande part de la réussite de ma mission repose sur la solution de cette énigme.

     Le ciel devient gris. J'entre dans la Galerie de l'Abondance Désintéressée et me choisis un parapluie. Que cela doit être agréable d'habiter sur une planète où tout est à votre disposition en abondance. Je ressens un plaisir juvénile à chaparder quelques loukoums dans un bocal au rayon confiserie. Cet environnement convivial et hospitalier m'apparaît de plus en plus séduisant.

     Allons, pas de laisser-aller. Il ne faut pas que je perde de vue la mission. La mission! Il n'empêche, mon penchant naturel à l'épicurisme béat se trouve fort sollicité.

     Je passe devant un cinéma. On joue un remake de "Soldeur perfide". J'hésite. La séance est commencée depuis dix minutes et si j'en crois les panneaux, le film va bientôt démarrer. Ma conscience professionnelle me fait une hideuse grimace. Après tout, je suis en mission de reconnaissance. Tout indice peut s'avérer déterminant. C'est peut-être là que je vais découvrir ce que je cherche.

     Ce fut un film excellent. Huit heures ininterrompues de suspense, de romance, avec des rebondissements à n'en plus finir. Le générique de fin m'a intrigué. Scénario: MOI. Casting: MOI. Script-girl: MOI. Sous-titrages: MOI Productions. Acteurs: MES ROBOTS. Cameraman, éclairagiste, musique, montage, effets spéciaux...: MOI, MOI, MOI, MOI et MOI!... Je sors mon calepin et note mon observation. C'est comme cela que j'ai toujours procédé.

     Ainsi donc c'est LUI. C'est indubitable.

VEILLEE EN SOLITAIRE

     Chacun a ses petites habitudes. Certains ne se séparent jamais de leur pipe, d'autres de leur bon vieux pull-over et d'autres encore de leur boîte de cachous. Moi, c'est mon fer à repasser qui me suit partout. C'est un Bormington comme on en faisait il y a plusieurs siècles avec un vilain fil dénudé et des tâches de rouille à n'en plus finir qui le font ressembler à un vieux crapaud malade. En sortant du cinéma, l'envie d'aller repasser quelques cols de chemises en compagnie de ce chevalier servant aux vapeurs toussotantes me taraude.

     Tous les hôtels de la ville m'ouvrent les bras: des salons aux velours profonds, aux sculptures monumentales, aux marbres finement ciselés. Des ascenseurs en or massif conduisent dans des suites royales où des lits en baldaquins tendus de soies chamarrés invitent au sommeil du saint. Rien ne m'empêche également de me rendre à l'aéroport le plus proche pour m'envoler vers un bord de mer tapissé de palmiers et de cocotiers et me prélasser devant un soleil couchant.

     Non. Moi, j'aime donner à mon existence une petite touche personnelle. J'ai vraiment mes habitudes, je m'en rends compte. Plus je m'éloigne de Baô, ma chère planète, plus j'aspire aux traditions, aux choses immuables, loin des excentricités qui bousculent la tranquillité de l'esprit et le rythme des saisons.

     Bref, je ne suis pas vraiment un aventurier, quoiqu'en dise mon Boss. Un bon livre aux pages jaunies que l'on vient de sortir du grenier, une paella improvisée avec quelques restes épars d'un réfrigérateur discret, la douce présence de Samantha qui me contemple, les pieds dans une bassine d'eau tiède, et je suis heureux. Imperceptiblement, je ressens le spleen du foyer.

     Je hèle un robot-taxi et lui montre l'adresse de ma hutte en pleine nature. Je me suis préservé de l'agglomération et mon logement se trouve au milieu d'un décor verdoyant et chlorophyllien. Mais j'aurais été bien incapable de retrouver mon chemin.

     Le taxi amorce un mouvement de vrille, et, tel un tire-bouchon débridé, se met à dévorer rageusement le sol. Je n'ai que le temps de boucler les bretelles d'arrimage. A deux cents mètres sous terre, nous abordons une couche lumineuse aux scintillements aveuglants. Le bolide fonce tête baissée avec une vitesse proche de celle de la lumière. Quinze secondes plus tard, une trappe s'ouvre et je suis éjecté sans ménagement dans les airs que nous avons regagnés. Des skis-parachutes adoucissent ma descente qui se termine harmonieusement devant mon accueillante demeure toute en boiserie.

     Je me précipite sur ma valise et enlace mon fer à repasser de mes grands bras fatigués. Ah, mon vieux compagnon de route, mon fidèle Bormington, tu sais quelle est ma détresse en ce moment. Oui, oui, ne t'en fais pas, nous allons repasser des chaussettes tous les deux. Des bleues, des jaunes, des rouges, tout ce que tu veux. Je te raconterais même le film que j'ai vu tout à l'heure. Tu m'as manqué tu sais...

LA GUERRE DU DESERT

     Au même moment, ailleurs, une goutte d'eau traverse un désert miniature. Qui va l'emporter? Le désert essaie vainement de résister à l'assaut humide de la goutte vorace. Des armées souterraines de grains de sables patiemment amassés accourent en renfort pour empêcher coûte que coûte la menace de reboisement.

     Un temps, la goutte recule et semble s'évaporer quelque peu, sous la chaleur redoublée. Elle tourne sur elle-même pour se régénérer et brusquement se vaporise tous azimuts déposant une rosée implacable sur l'ennemi cloué au sol. Cette dispersion inattendue des forces aqueuses surprend le désert qui lutte vaillamment. Mais il commence imperceptiblement à ressentir les premiers symptômes d'une végétation balbutiante: que sont ces racines qu'il secrète en son sein?

     Un vent brûlant tente désespérément de repousser l'humidité pénétrante.

     La goutte subit un deuxième mouvement de repli devant la violence de la contre-attaque. Tout n'est que pierraille calcaire tandis que les racines calcinées craquellent sous la croûte rugissante.

     La goutte a soif. Elle s'auto-pourlèche mais en vain; l'ébullition n'est pas loin. Elle manque de défaillir. Le soleil la darde inexorablement, comme s'il voulait en finir; arbitre partial d'un jeu pipé.

     La goutte, vexée au plus profond d'elle-même de cette alliance irrégulière, laisse éclater sa rage. Une nuée de gouttelettes volontaires se condense en un cumulus sinistre qui vient assombrir le ciel et faire obstacle aux rayons du traître.

     Une pluie diluvienne s'abat sur le désert. L'ardeur de la giclée sème la déroute dans les camps sablonneux. Une seule issue: se serrer les grains. Les dunes se replient sur elles-mêmes sans arriver à enrayer la progression du fluide qu'elles absorbent malgré elles dans leur substance. Les derniers bastions d'argile s'avachissent mollement en pâteuses coulées. La désolidification est en route. Sus au sec! Tel qui jadis faisait régner l'empire de l'aridité cède sous la liquéfaction envahissante. De torrentielles hallebardes se déversent sur la victime agonisante. Des graines centenaires se libèrent avec fougue du sable tyrannique. Déjà, l'horizon se tapisse de pousses vigoureuses, gorgées d'une fureur de vivre au grand jour. Des rivières hébétées improvisent un lit de fortune. Un premier contingent de grenouilles commence à arriver. Des lianes tombent négligemment sur des mousses marécageuses où glougloutent des bébés crocodiles héberlués.

     "Vraiment, JE m'amuse très bien tout seul. JE ne vois pas pourquoi JE m'embarrasserais de cet inquisiteur qui cherche certainement à M'acheter."

Copyright Daniel Ichbiah et Yves Uzureau

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