cyberculture / extrait

Le cyber look

(chapitre 1)

 

Il y a eu trois grandes étapes dans l'histoire de l'Homme :

Entre ces diverses phases de son évolution, l'Homme a passé le temps comme il le pouvait, bâtissant des pyramides, détournant le cours du Titicaca, réparant le siphon du lavabo... Il fallait bien s'occuper au cours de cette ère d'obscurantisme qui a précédé Internet. Qu'auriez-vous fait à sa place ?
Et puis, alors qu'il était de bon ton de s'interroger sur le devenir de ce bipède inconstant, est apparu le compagnon idéal, le catalyseur inespéré, le jouet parfait : l'ordinateur, bientôt suivi de son inséparable modem. Ajoutons une souris, une copie de Tomb Raider 2, un lecteur de CD-ROM, une tablette graphique, un appareil photo numérique, un logiciel de retouche d'images... Un univers nouveau s'est alors ouvert, avec des jeux en millions de couleurs, des rencontres fantastiques, des expériences hallucinantes, des courses poursuites infernales, des conversations déjantées avec des créatures à trois têtes... Le cybermonde est né. Les potentiels de l'humanoïde ont explosé en une marée de pixels scintillants.

L'Homme n'est plus ce qu'il était. La Femme non plus.
A première vue, rien n'a changé. La Nature continue son immuable mutation, expérimentant de nouvelles formes, nourrissant l'éléphant comme le papillon, le fuchsia comme le baobab. Elle fait comme si de rien n'était, mais la chose est sûre... Tôt ou tard, la Nature intégrera Internet dans son grand plan. Les bébés de l'ère cyber seront bientôt pré-équipés d'une prise permettant de se connecter sur le réseau. Dès le kindergarten, ils joueront à Baby Doom, en s'aspergeant mutuellement de bouillie gluante sur les écrans intérieurs du berceau. Le clic deviendra aussi naturel que la repousse de la queue du lézard.

Nous n'en sommes pas encore là. En cette ère de mutation, le Terrien pénètre dans une phase transitoire au cours de laquelle, imperceptiblement, s'effectue un tri insidieux. Certains sautent à pied joint dans la cyber douve, franchissent le pas sur la pointe des pieds, d'autres demeurent dans l'expectative. Et de fâcheux esprits hurlent à la Lune, accusant le cyber de mille maux. Comme s'ils pouvaient freiner la multiplication exponentielle du nombre de sites Webs par leurs incantations. Mal leur en prend. Le monde vire imperceptiblement à la teinture cyber.

Un nombre de plus en plus important de filles refusent de flirter avec des types qui n'ont pas une adresse Email. On les comprend. A l'âge de fonder une famille, comment se fier à des garçons qui se coiffent à la Elvis, s'éclairent à la bougie, partent pour les Croisades ou aspirent à se faire momifier ?
De nombreuses entreprises au fait de leur époque ne recrutent que des homo cyber. Ah ! Ils ont tôt fait de vous cataloguer comme un "irréductible analogique", un "passéiste", voire - injure suprême - un "utilisateur du Minitel".
Même le locataire de l'Elysée s'est vu rejeté par le scrutin populaire pour avoir fait preuve de déficiences en matière d'accessoires de pointage pour ordinateur.


En clair, dans notre société, une mutation est en train de s'opérer. Qui n'est pas cyber est glauque, pas montrable en public, du genre "
bouh... on veut bien te sortir, mais tu l'ouvres pas ; et si l'on parle d'Internet, cesse de dire que tu utilises une autre lessive ! "
Allez vous demeurer assis sur le trottoir alors que les électrons affolés jouent à Wipeout sur les autoroutes déjantées de l'information ? Regarderez vous passer le vaisseau spatial sans réclamer un ticket au robot souriant derrière le guichet ?
D'autres, à d'autres époques, ont rejeté le silex, la pomme de douche, le stylo à quatre couleurs, la fission de l'atome. Résultats des courses : ils ont eu les filles/garçons les plus tartes, les jobs les plus navrants, un beau frère moustachu, les pieds plats... Tout ce qu'on ne vous souhaite pas.


Il paraît bien plus avisé d'apprendre :
1) à reconnaître les cybernautes
2) à faire semblant d'en être un !


Cela étant dit, le problème n'est pas simple et l'angoisse grandit chez les sociologues de tous poils. Une grande question agite les réunions : comment déterminer qui est cyber et qui ne l'est point ? Ce vaste débat n'est pas près d'être clos.
Assénons la dure vérité :
Le cybernaute étant un être issu du virtuel, il ne ressemble à rien.
Pour plus d'explications, remontons quelques années en arrière. Lorsque l'on croisait dans la rue, un barbu portant une chemise bardée de magnolias, un jean troué, des cheveux jusqu'aux épaules, n'importe quel badaud ému pouvait s'écrier : "
Mazette... un hippie ! ". Et de chantonner If you're going to San Francisco...
Quelques années plus tard, quand nous rencontrions une face de raton laveur avec les cheveux en épi, un costard criant misère, une cravate maigrelette en skai et une boucle d'oreille, chacun savait à qui il avait affaire : "
Maman ! un punk !". Should I stay or should I go ?
S'ensuivit une période classieuse où de jeunes boursicoteurs au faciès d'iceberg portant des lunettes noires faisaient les beaux jours de Wall Street. Les " yuppies " étaient arrivés.
Le freak ? C'est chic !
Le cybernaute n'est pas comme cela. Il se perd dans la foule, mêlant son anonymat à celui de la masse " digitalement inculte ". Il est transparent, indécelable, anodin. On en trouve dans le lot des hirsutes, des crânes rasés, des fashion victims, des turfistes, d'anciens cruciverbistes repentis...
D'où la question troublante : comment les reconnaître ? Et la question concomitante : comment diable, se faire passer pour un cybernaute ?

Ce sont des marques subtiles qui distinguent l'homo cyber du vulgum pecus débranché. Des signes qu'il manifeste inconsciemment mais que la tribu perçoit d'emblée. Des petits riens qui font que, dès qu'un cybernaute pénètre dans un bar enfumé, ses semblables le reconnaissent comme l'un des leurs.

Quels sont les signes que l'on rencontre chez la plupart des intéressés ?

Concrètement, que faut-il faire ?

Si vous respectez ces quelques consignes, vous serez admis dans le cercle fermé de cette génération mutante : l'homo cyber. Mais, vous ne ferez pas longtemps illusion. Tôt ou tard, il vous faudra acquérir l'équipement indispensable : PC, console, modem, lecteur de CD-ROM... Et oui, cela coûtait beaucoup moins cher de passer pour un hippie, il suffisait de se laisser pousser la barbe. Mais les temps ont changé.
En attendant de vous équiper, lisez très attentivement les pages qui vont suivre. Il va falloir apprendre à simuler les attitudes et le vocabulaire cyber.

 

@Daniel Ichbiah -Editions Anne Carrière (1998)